Approximativement, car les statistiques dites “ethniques” sont proscrites, les Français à la peau noire seraient 3,3 millions. Lointains descendants des esclaves des Antilles ou des “indigènes” de l’empire colonial français d’Afrique, ils constituent une minorité souvent discriminée. Métisse élevée dans les beaux quartiers parisiens, fille d’une femme politique ivoirienne et petite-fille d’Alphonse Boni, un Noir devenu magistrat de la République française dans les années 1930, Isabelle Boni-Claverie se penche sur ce qui bloque l’ascension sociale des Français à la peau noire et la reconnaissance à part entière de leur citoyenneté.
Clichés
Partant de ses souvenirs personnels, la réalisatrice fouille dans son histoire familiale. Elle fait parler ses cousins blancs sur la manière dont sa famille maternelle, originaire du Tarn, a vécu le mariage de sa grand-mère avec un Ivoirien. Pour voir ce qui a pu évoluer depuis qu’elle en a été diplômée, elle pousse à nouveau la porte de la Fémis, prestigieuse école de cinéma où elle se souvient avoir été la seule élève noire. Plaçant des jeunes hommes et femmes face caméra, elle les interroge sur leur ressenti. Enrichi par les éclairages qu’apportent sociologues et historiens, son film exhume aussi, de pubs en sketchs comiques, d’extraits de JT en polémiques racistes, des clichés qui renvoient l’image d’une France au passé colonial toujours vivace. Et, malgré de généreux discours, pas davantage qu’hier ouverte à la diversité des origines, des cultures et des trajectoires individuelles.
J’ai grandi dans un quartier juif (je crois que notre petite famille était quasi la seule non juive de la rue). Nous avons déménagé dans un quartier résidentiel (ma famille était la seule où la mère travaillait). Puis dans un petit village de campagne alsacienne.
Mon premier contact avec les noirs fut le curé qui me fit passer ma communion. À l’époque, je ne concevais pas la petite révolution que cela pouvait engendrer dans les esprits, dans un village si blanc que la seule famille turque en est partie, et que les élections nationales roulaient pour le FN.
La première fois que j’ai été confrontée à la négritude, ce fut par un couac de l’Éducation Nationale couac corrigé depuis) : pour la première année de réforme du Bac Littéraire, nous étudiions Aimé Césaire. En Terminale. Sans avoir aucune connaissance de ce qu’avait été la colonisation et la décolonisation, sauf quelques dates apprises à la va vite parce que l’étude de la Seconde Guerre Mondiale avait déjà pris tout le temps de l’année scolaire.
À Noël, on mangeait des Têtes de Nègre, et je ne m’étais jamais interrogée sur cette dénomination.
Quand j’étais petite, Banania existait encore, et aujourd’hui les boîtes vintage se vendent cher dans les magasins de design/déco pour tous.
On riait aux sketchs de Michel Leeb.
J’ai eu une éducation de gauche, anti raciste, nous zappions dès que Jean-Marie apparaissait à la télé. Je n’ai jamais eu de haine pour quiconque, sauf les cons.
Mais j’ai été et suis encore raciste.
Je l’ai su avant de regarder ce documentaire, mais connaître l’histoire d’une personne qui a peu ou prou le même âge que moi, et qui vit de l’autre côté de la couleur, remet savamment, et sans haine, les choses à leur place.
Il peut paraître un peu égocentrique de parler de moi pour analyser un documentaire qui parle de l’Autre, du voisin français qui n’a pas la même couleur de peau que moi. Mais « Trop noire pour être française ? » permet, selon moi, de continuer à déconstruire ce moule ignorant dans lequel j’ai été élevée.
« Quand j’étais jeune, on ne disait pas que les Têtes de Nègre étaient racistes. »
« Oui, mis ce n’est pas à nous de décider qu’elles le sont, c’est aux personnes concernées, le noirs, de le dire, et à nous de les écouter. »
Conversation vécue.
De les écouter notamment en regardant ce documentaire très instructif et dont on ne sort pas forcément honteux, mais avec un peu plus d’outils pour s’éduquer, et porter un autre regard, ni compatissant, ni paternaliste, sur son voisin.
Documentaire toujours visible sur Arte+7
http://www.arte.tv/guide/fr/050748-000/trop-noire-pour-etre-francaise